Philippe Monneret est professeur de linguistique à la Faculté de Lettres de Sorbonne-Université. Il a enseigné, jusqu'en 2015, à l'Université de Bourgogne.   Il est   fondateur et directeur des Cahiers de Linguistique analogique, secrétaire général de la revue Le Français moderne, membre du comité de rédaction de la revue Signifiances et membre du comité éditorial de la revue Romanica Olomucensia

L’iconicité et l’indexicalité comme motivations de la gestualité co-verbale.

 

On aurait tort de croire que les gestes de la conversation ne sont que les gesticulations d’un corps qui s’anime en parlant. Au cours de l’interaction orale, nombre de nos gestes sont des formes récurrentes (Ladewig 2014) signifiantes, que les locuteurs mobilisent en les intégrant au discours et à la prosodie pour la co-construction multimodale du sens. Les formes gestuelles sont par nature schématiques, esquissées, sous-déterminées (Calbris 2003) : le sens que l’on peut associer à une forme gestuelle hors contexte n’est tout au plus qu’un thème sémantique (semantic theme, Kendon 2004), et c’est toujours en contexte, dans l’interaction avec le discours et la prosodie, que le sens d’un geste se précise (Gumperz 1992).

Les typologies des fonctions gestuelles mettent au jour les motivations du sens des gestes. Les gestes représentationnels (Kendon 2004), traditionnellement appelés gestes iconiques (McNeill 1992), reposent en fait souvent sur une représentation indexicale de leur référent (Mittelberg & Waugh 2009). Les gestes métaphoriques (McNeill 1992, Cienki & Müller 2008) qui figurent des idées abstraites ou semblent présenter le discours comme un objet manipulable, peuvent être décrits comme des gestes pragmatiques car ils semblent dériver de nos actions les plus courantes (Streeck 1994, LeBaron et Streeck 2000, Müller 2004). Les battements des mains (beats), mais aussi la tête et le visage peuvent être mobilisés pour rendre visible et lisible les accents de phrase et les variations de la hauteur de voix (Bolinger 1983). Le corps et la voix sont des supports tout indiqués pour représenter… la voix et le corps d’autrui (Sweetser 2012) : ils sont par exemple mis à profit pour distinguer le locuteur d’un autre énonciateur absent, dans le cadre du discours rapporté (Debras 2015). Si elles jouent un rôle central, iconicité et indexicalité ne sont pas les seules motivations du sens des gestes : celui-ci est également régi par des contraintes physiologiques (Boutet 2008), et les formes gestuelles récurrentes semblent s’acquérir dans l’enfance comme des constructions toutes faites, où forme et sens constituent un tout indissociable (Debras et Beaupoil-Hourdel sous presse).

 

Références

Bolinger, Dwight. (1983). Intonation and Gesture, American Speech, 58: 2, 156-174.

Boutet, Dominique. (2008). Une morphologie de la gestualité : structuration articulaire. Cahiers de Linguistique Analogique, 5, 81–115.

Debras, Camille. (2015). Stance-taking functions of multimodal constructed dialogue during spoken interaction. GESPIN4 International Proceedings, Université de Nantes, 2-4 sept. 2015

Debras, Camille & Beaupoil-Hourdel, Pauline. (sous presse). Developing communicative postures: the emergence of shrugging in child communication. Language, Interaction, Acquisition.

Cienki, Alan & Müller, Cornelia (eds.). (2008). Metaphor and Gesture, Amsterdam & Philadelphia: John Benjamins.

Calbris, Geneviève (2003). From cutting an object to a clear-cut analysis: Gesture as the representation of a preconceptual schema linking concrete actions to abstract notions. Gesture, 3(1), 19–46.

Gumperz, John. (1992). Contextualization and Understanding. In Alessandro Duranti & Charles Goodwin, (Eds.), Rethinking Context, Cambridge & New York : Cambridge University Press, 147190.

Kendon, Adam (2004). Gesture: Visible Action as Utterance. Cambridge: Cambridge University Press.

Ladewig Silva H. (2014). Recurrent Gestures. In Cornelia Müller, Alan Cienki, Ellen Fricke, Silva Ladewig, David McNeill & Sedinha Teβendorf (Eds.), Body – Language – Communication Vol. 2 (1558–1574). Berlin and Boston: Walter de Gruyter.

LeBaron, Curtis, & Jürgen Streeck (2000). Gesture, knowledge and the world. In David McNeill (Ed.), Language and Gesture, (118–138). Cambridge: Cambridge University Press.

McNeill, David (1992). Hand and Mind. What Gestures Reveal about Thought. Chicago: University of Chicago Press.

Mittelberg, Irene & Waugh, Linda. (2009). Metonymy first, Metaphor second: A cognitive-semiotic approach to multimodal figures of thought in co-speech gesture. In Charles Forceville, Charles & Eduardo Urios-Aparisi (Eds.), Multimodal Metaphor, Berlin & New York: Mouton de Gruyter, 329–356.

Müller, Cornelia (2004). Forms and Uses of the Palm Up Open Hand: A case of a gesture family? In Cornelia Müller & Roland Posner (Eds.), The semantics and pragmatics of everyday gestures, Proceedings of the Berlin conference, April 1998 (233–256). Berlin: Weidler Buchverlag.

Streeck, Jürgen (1994). 'Speech-handling': The metaphorical representation of speech in gestures. A cross-cultural study. Unpublished manuscript, Austin (Texas).

Sweetser, Eve. (2012). Introduction: viewpoint and perspective in language and gesture. In Barbara Dancygier &Eve Sweetser (Eds.), Viewpoint in Language: A Multimodal Perspective, Cambridge: Cambridge University Press, 1–24.